Shankaryan, 25ème jour d'Aketar
Lynsk
Ma douce Iris,
Ta présence me manque, la neige tombe, tourbillonne incessamment depuis cette nuit. Le froid et la neige règnent sur les terres. Lynsk n’a toujours pas ôté son manteau immaculé. Le fera t’elle un jour ?
Il doit faire beau à Failariel. Je l’espère. La distance qui nous sépare m’est de plus en plus insupportable. J’aimerais que vienne le moment où tu me rendras visite. Lorsque les tempêtes et les guerres se seront calmées peut-être ? Je crains de ne pas pouvoir le faire moi-même.
Malgré le mauvais temps, je ne pouvais pas rester chez moi, pas aujourd’hui, pas depuis hier. Je t’écris donc cette lettre devant une étendue blanche qui s’offre, vierge de toute trace, à mon regard. La mer est lointaine, immobile, sereine.
Comme tu dois le savoir, Leïra s’est découverte pleinement à nos yeux la nuit dernière. Elle éclairait ma chambre de sa clarté bienfaitrice. Je me suis ainsi levée pour l’admirer de ma fenêtre.
Les souvenirs de cette soirée sont flous, obscurs. Je me vois, prendre ma cape, mon violon et braver les vents, la neige, pour errer dans les rues de Lynsk.
Tu te rappelles lorsque nous étions enfants ? Lorsque Maman m’a laissée, pour la première fois jouer de son violon ? Vous êtes rentrés, toi et Papa, en pensant que c’était elle qui jouait. Je me rappelle son regard, il n’y avait pas de surprise mais comme une lueur de fierté. Il était étrange que l’archet prenne vie dans ma main inexpérimentée, j’étais comme habitée, tu te souviens, c’était une nuit de pleine lune.
Tu te rappelles le soir, lorsque tu m’a retrouvé près du ruisseau avec ce violon à la main ? Tu m’as ramenée au chaud. C’est cette même forme d’absence que j’ai ressentie hier, mais tu n’étais pas là.
J’ai erré dans la ville, guidée par la lueur de la Lune, courbée par le vent, j’avançais vers la place. Je me suis rendue, où plutôt on m’a guidé près de la fontaine de Danaé. Je me suis souvent interrogé sur l’utilité d’une fontaine qui est si souvent gelée. C’est peut-être cela, la beauté, une beauté inconnue pour ceux qui la regardent le jour, une beauté intime qu’on ne découvre qu’à la lumière de la gardienne de la nuit.
Lorsque je suis arrivée près de cette fontaine, la neige s’est arrêtée de tomber, les nuages ont laissés l’étoile du soir se découvrir et observer la scène. Le calme s’est fait une place à Lynsk. Les rires et les chants dans les tavernes se sont éteints. Les rafales de vent se sont fait murmure.
Je te raconte, Iris, tu voudrais le savoir, tu m’en voudrais de te cacher cela.
Il régnait près de cette fontaine, cette douce sculpture d’onyx, symbole d’une jeune femme courtisée par un dieu, symbole d’une union entre une pluie d’or et une jeune vierge. Ce fut un lieu choisi, je le sais, même si ce n’était pas une pluie d’or, même si je n’étais pas vierge.
Le calme de la ville était apaisant, mon archet d’une main, le violon de l’autre, je commençais à jouer. Tu te rappelles de cet air que Maman nous interprétait pour nous endormir, cet air à la fois triste et joyeux ? C’est cet air là que j’ai joué, l’archet caressait les cordes du violon.
Lorsque j’ai arrêté de jouer, les notes, la musique continua à se faire entendre. Elle survolait la ville comme portée par le vent.
Le vent, une douce caresse. Je n’ai pas eu peur, tu sais, je pense que c’était écrit, que Leïra l’a voulue ainsi. J’étais dans un état second, caressé par zéphyr. Une odeur de fleur, Iris, ces mêmes odeurs de fleurs que l’on rapportait à Maman et qui embaumaient la pièce. Le souffle du vent sur la peau, étrangement, ce vent n’était pas glacial comme tu devais l’imaginer. C’était un vent sensuel, chaud, enivrant. L’ivresse, oui, c’est cela, l’ivresse qui résume assez bien mon état de la veille.
Il m’a transporté, ce zéphyr, transportée dans les airs. Je sentais ses mains sur mon corps, cette odeur enivrante, cette musique exaltante. Pendant ces quelques minutes, des heures ? Je ne sais pas, pendant ce moment qui me semblait une éternité, j’ai goûté au bonheur. A l’extase. J’ai dégusté le nectar et l’ambroisie. Je me sentais comme éternelle. J’ai senti son poids sur mon corps, sa chaleur, j’ai senti l’union de nos deux corps dans une étreinte charnelle. Une union d’un corps s’insinuant dans un autre, une symbiose charnelle, érotique.
J’ai fermé les yeux et lorsque je les ai rouvert, il était là. Je ne sais pas ce qu’il était, une ombre du passé ? Une incarnation ? Je ne sais pas. Il était là, et ces mains qui me caressaient quelques temps avant étaient les siennes. Ses yeux, Iris, une lueur libertine, une flamme qui semblait éternelle.
J’ai senti le sol sous mes pieds, il me serrait dans ces bras. Je n’ai pas tenté de le repousser. Tu pense que j’aurais du ? Je ne sais que dire à Stayz, me pardonnera-t-il ?
Cet homme, cette ombre, a desserré son étreinte, il n’a dit qu’un seul mot, « Zéphyr ». Il m’a embrassé.
Je me suis réveillé ce matin, « Zéphyr », c’était le nom du frère de la reine, mort depuis quelques années maintenant. Zéphyr, le reverrais-je ? Je crains de l’espérer.
Iris, j’espère que tu viendras me voir, dans quelque mois, je ne serais plus en état de voyager, je sens la marque de son être dans mon corps. Je vais devoir en parler à Stayz, je suis perdue, j’ai peur.
Je t’attends, j’espère que tu viendras, il faut lui trouver un nom à cette enfant.
Je t’aime,
Ta sœur, Alizea.