J'étais arrivé hier matin au village, pour me reposer. Je pensais pouvoir enfin poser mes jambes fatiguées après tant de jours de marche. A mon reveil, j'eus la désagréable surprise de voir que personne n'avait daigner m'apporter de quoi me rassasier. Adieu, ô tendres petits pains, il semblait que je n'aurais pas à manger ce matin si je n'allais rien réclamer. Je m'habillais promptement et descendais dans la salle commune. Personne... Je traversais la cuisine pour aller voir si l'aubergiste n'était pas dans la basse-cour. Non, nul ne s'y trouvait... Mon ventre criait sa faim. En desespoir de cause, je me servis directement dans une corbeille. Un maigre quignon de pain tout dur... c'est mieux que rien tout de même.
Je retournais dans ma chambre prendre mes quelques affaires, déposais en passant quelques pièces sur le buffet pour payer ma nuitée et sortis. Sur le pas de la porte, je fus surpris par le manque d'animation du village, pourtant réputé pour ses enfants jouant dans les rues, sa joie de vivre, et ses bonnes odeurs volant à hauteur du nez... Flanant nonchalemment dans les rues, déambulant tranquillement entre les maisons, ma veste négligemment jetée sur l'épaule, je repris ma route pour le château, encore à des jours de marche. L'absence d'animation du village m'étonnait, mais bon, pas de quoi s'alarmer... Mon esprit se mit à vagabonder alors que je sortais du village: les villageois avaient tous étés massacrés... non, il resteraient des morts partout. Ou alors... ils étaient tous partis pour un pelerinage local pour vénérer je ne sais quelle divinité assurant la fertilité de leurs champs...
Je compris finalement pourquoi tout le monde avait disparu: le cimetierre, à l'écart du chemin était bondé de gens, tous de noir vétus, pleurant à chaudes larmes. Je m'approchais, curieux et demandais à un homme qui se mouchait bruyamment qui avait été si aimé pour être autant regretté.
"- Boujour l'ami...
- ... Ce jour n'est pas bon, sachez le.
- Desolé, je ne souhaitais point vous offenser." Il essuya une larme de son mouchoir et me regarda, hébété par ma tenue décontractée et mon grand sourire. " Qui enterre-t-on?
- Oh... Une... "Un sanglot le secoua."... Une famille entière... ou presque, une des petites a été épargnée.
- La petite? "Il me désigna d'un doigt tremblant une jeune enfant, attérée de voir ses parents dans un cercueil. Je notais que, si ses yeux restaient secs, elle serrait si fort un bouquet que ses articulations étaient blanches." Que s'est-il passé au juste?"demandais-je par pure curiosité.
- Ils... ils sont morts... leur ferme, brulée... les enfants... " Il s'arréta, en larmes.
- J'imagine bien que cela doit vous émouvoir, mais pourquoi pleurez vous autant... A croire que vous pleurez à la place de la fille.
- Sa mère était ma cousine. Son père était un homme que tout le monde aimait..." Sur ce, il partit sur la description de toute la famille. Je le laissais à se lamentations. Je n'ai jamais aimé les gens se lamentant de la sorte. Trop enclins à pleurer pour un rien. On peut déplorer une mort, on peut honorer la mémoire des défunts, ça oui. Mais les pleurer ainsi et en faire des martyrs... très peu pour moi. Après un rapide regard aux quatres cercueils, je repris mon chemin.
"Sans coeur... ils sont des martyrs, ils ont étés tués, brulés vifs... Ils méitent l'hommage qui leur est rendu"... Je hais quand ma conscience vient me pourrir ma journée. Bon, va pour une minute de recueillement. Je reviens en trainant des pieds vers le cimetierre au moment où un homme emmène la jeune fille à l'écart, la tenant par l'épaule. Tout en "priant" de manière distraite pour la mémoire des défunts, je jète un coup d'oeil à la demoiselle. On voit bien qu'elle se retient de ne pas pleurer, mais que son chagrin va bientôt déborder. "Pauvre gamine quand même, orpheline à cet âge là !" pensais-je en m'éloignant.
Voilà, une nouvelle journée est passée... Une nouvelle journée harassante de marche à travers la plaine et la forêt de l'ouest. En faisant un feu pour éloigner les bêtes sauvages, je repense à ce matin. Je ne sais pas pourquoi, mais au moment où la jeune fille s'est mise à pleurer, dans les bras de l'homme, j'ai eu comme un pincement au coeur. Eh oui, moi, d'habitude si joyeux, insoucient et sans états d'âme, j'ai eu de la peine pour elle. Une vraie peine, pas une peine d'une sincérité douteuse comme devant la tombe de ses parents. C'était comme si une ombre était passée au dessus de moi, comme si, rien qu'en pleurant, elle partageait son chagrin avec les éléments environnants. Un élément m'échappait... Un détail troublant m'avait frappé... lequel? Quelque chose d'anormal voire de surnaturel, quand elle s'était mise à pleurer...
Je ne trouvais que la réponse en m'endormant. Ses larmes ! Ses larmes étaient bizarres. Je me rappelle que.. Ah, maudite mémoire !... Ces larmes, qui avaient courues le long de ses joues pâles me hantaient... Mais pourquoi? Sans doute parce que je ne me souvenait pas d'en avoir vu ne serait-ce qu'une seule toucher le sol. Toutes avaient disparues, volatilisées. Peut-être aussi parce qu'elles n'étaient pas transparentes comme des larmes devraient l'être mais d'une légère teinte ambrée, comme la couleur d'un ciel au soleil levant...
Alors que le sommeil s'emparait de moi, une certitude envahit mon esprit tourmenté: cette jeune fille devait être une manipulatrice d'arcanes... Sorcière, magicienne peut-être... Qu'importe... La main du destin l'avait pour la première fois caressé. Je me doutais bien que ce ne serait pas la dernière...