Chapitre 2 : Devenir un homme.
Récit de la vie de Lundar, par Munlik son père.
Je ne tiendrais pas ce journal de la même manière que ma défunte femme, Leiko. Je n’aurais pas la patience, pour commencer, de compter les jours qui se suivent. Ensuite, je n’attacherais certainement pas d’importance aux même types de détails. Cependant, tout comme elle, je tiendrais ce journal à jour le plus souvent possible, en sa mémoire et pour ce qu’elle pense être bon pour notre fils.
Il y a deux jours, notre village a été attaqué par une bande de pirates. Le chevalier qui nous avait conseillé de nous installer sur la côte était en fait avec eux, maudit soit-il ! Ce qui s’est passé le jour de l’attaque, ni Lundar, ni moi ne l’oublieront… La femme qui commandait les pirates a assassiné Leiko au milieu de la place du village, avant de l’empaler. Nous avons tout vu, nous revenions au village car deux des apprentis ne se sentaient vraiment pas bien. Nous étions sur la colline et déjà des gens fuyant les pirates nous rejoignaient. Même si les apprentis avaient eu des arcs et non des frondes, nous n’aurions même pas pu attaquer les pirates de là-haut, nous aurions eu le temps de tirer trois fois et nous nous serions fait massacrer. Nous sommes restés perchés sur la colline en espérant qu’ils ne nous verraient pas ! Mais ils nous virent. Cependant ils ne firent rien contre nous, sauf tuer Leiko en nous la montrant ! Je n’oublierai jamais le regard de Lundar quand il croisa celui de la femme pirate. On aurait dit un démon, surtout lorsque la femme trancha la gorge de Leiko. D’ailleurs elle parut surprise par le regard du petit. J’ai peur pour Lundar a présent, j’ai peur qu’il ne fasse le mauvais choix…
Les pirates sont partis, ils ne sont pas restés longtemps, ils ont pris tout ce qu’ils pouvaient et ils ont brûlé le reste… Nous allons devoir tout reconstruire, et essayer de rassembler les survivants et leur redonner le goût de vivre. Mais avant tout il nous faut faire des funérailles dignes à ceux qui sont morts.
Deux jours que Lundar pleure sur le cadavre de Leiko. Je n’ai pas le cœur à aller le chercher, mais il va quand même le falloir… Il a menacé de mort quiconque s’approcherait du cadavre de sa mère, il me fait de plus en plus peur…
J’ai réussi à détacher Lundar du corps de sa mère. Ce fut difficile, mais nécessaire. Il ne va vraiment pas bien, quand les funérailles seront finies il faudra que je lui parle sérieusement, même s’il n’a que dix ans, ce qu’il vient de vivre l’a profondément affecté.
Lundar est un garçon étonnant. Il est allé s’excuser auprès de ceux qu’il avait menacés, et travaille plus à la reconstruction que tous les autres enfants réunis… Cependant, je ne peux ignorer que son regard a vraiment changé. Il transpire la haine, et il fait peur aux autres.
Cela fait trois ans maintenant que Leiko a été tuée. Le regard de Lundar est resté empli de haine, même s’il s’efforce de rester le plus sage possible. D’ailleurs, hier une petite bande de pillards Reikons a tenté de nous prendre notre bétail par la force, et Lundar a pris les armes pour défendre le village. On aurait dit un fou furieux, et alors qu’un pillard blessé à terre nous suppliait de le laisser fuir et rejoindre les autres, Lundar brandit son épée et l’abattit sur l’homme. Son bras ne faiblissait pas, et sans l’intervention de l’ancien qui para le coup, Lundar aurait achevé l’homme sans la moindre pitié. L’ancien s’en chargea pour l’exemple, et surtout pour éviter à Lundar ce genre d’actions…
Lundar ne s’entraîne même plus avec moi, il est toujours fourré chez l’ancien. Il est devenu son mentor, son maître d’armes, son instructeur… Je préfère que ce soit ainsi d’un côté, mais je suis certain que Lundar n’avance que pour une raison : la vengeance.
L’ancien est venu me voir. Lundar est le meilleur élève qu’il ait eu depuis bien longtemps. J’en suis heureux, et en même temps mon cœur est empli de chagrin. Lundar commettra certainement l’irréparable s’il est si fort que ça.
Deux ans viennent encore de passer, Lundar a maintenant quinze ans. Il est devenu un bel homme, puissant et robuste, le chevalier type. Son don pour le commandement me laisse penser qu’il ne tardera pas à aller au château servir dans l’armée du roi. C’est lui qui commande la garde que nous avons établie désormais.
Hier nous avons discuté de ses motivations, et j’ai réussi à lui faire promettre de ne plus chercher à se venger. J’ai confiance en sa parole, et même si son regard reste dur, je sais qu’il fera le bon choix. Même si je dois bien avouer que j’ai vraiment peur de ce qui pourrait se passer s’il rencontrait à nouveau un des pirates.
Lundar semble se calmer au fur et à mesure que les jours et les mois passent. Il a choisi d’attendre ses dix-huit ans avant d’aller au château pour servir notre roi. Il est de plus en plus fort, et l’ancien, pour lui rester supérieur en combat est obligé de se battre sérieusement. Je suis fier de lui, mais je regrette qu’il ait choisi cette voie.
Hier à l’entraînement, Lundar s’est blessé en combattant l’ancien. Il a tenté une botte qui n’a pas fonctionné, et il s’est retrouvé avec le sabre de l’ancien lui traversant le bras. La douleur semblait le faire rire, et j’ai cru un instant revoir son regard haineux. Les soigneurs l’ont remis en état et on même fait disparaître la cicatrice qu’il avait sur le visage. Je ne sais pas comment c’est possible, mais ils l’ont fait.
Dans deux mois Lundar aura dix-huit ans. Il insiste pour être au château le jour de son anniversaire, il devra donc partir une semaine avant. Je me fais du souci, mais quel père ne s’en ferait pas ?
Lundar part demain. Il est clairement prêt, et il sera très probablement un atout dans l’armée. Enfin je me plais à le penser et ça m’évite de me faire trop de soucis. Je pense que je lui donnerai les deux livres, celui que sa mère a rédigé, et celui-ci. Peut être que cela l’aidera dans son voyage et quand il sera loin de nous.
Ca y est, c’est le jour du départ. Il a décidé de partir à la tombée de la nuit et il nous a annoncé qu’il comptait faire une formation de deux ans. Nous ne le verrons probablement pas pendant tout ce temps. Il faut que je lui laisse un petit mot.
Lundar, quoi que tu fasses, ou que tu sois, n’oublie jamais la promesse que tu as faite. La vengeance est inutile et ne te créera que d’autres ennuis. J’ai confiance en toi, et je sais que tu sauras honorer correctement ta promesse et la mémoire de ta mère. Pars avec ma bénédiction et reviens-moi dès que tu pourras.